VIRTUAL MASK
Je fais l'idiot. J'attends de la part
de mon entourage un rire ou, au moins, un sourire : voilà le
rôle que mon attitude exige. Deux possibilités s'offrent à mon
interlocuteur : consentir à jouer le rôle que je lui impose,
même si je ne suis pas drôle il peut rire ou sourire par
politesse , ou bien il peut aussi refuser de jouer cette scène
avec moi. L'attitude d'autrui s'impose donc à moi comme une exigence
théâtrale, c'est la raison pour laquelle la présence de l'autre
est souvent vécue comme un fardeau. On peut ainsi goûter le plaisir
de la solitude puisqu'on n'est plus obligé de se mettre en scène.
Les réseaux sociaux aujourd'hui
décuplent cette mise en scène puisque non seulement nous sommes les
acteurs de notre existence, mais nous en devenons aussi les metteurs
en scène. Je fais le casting de mes amis, je leur suggère certaines
réactions : une photo de mon chien ou de mes enfants va
nécessairement entraîner une rafale de « j'aime » ou de
remarques comme « trop mignon ». Si je poste la photo
d'un plat on dira « miam », je répondrai « une
tuerie ». C'est mon anniversaire...un petit « HB bro »
un peu pressé, je publie une nouvelle étonnante... un
petit« WTF »un peu stressé. Nos rapports virtuels sont
codifiés et prédéterminés ; comme les chiens de Pavlov, nous
ne sommes presque qu'un ensemble d'actions et de réactions.
On pourrait certes interpréter cette
constatation comme une accusation. On pourrait dire, et on le dit
souvent, que facebook c'est du « fake », on simule, on
n'est pas nous-même, on s'invente une vie. Cela est vrai
partiellement. Cependant, refuser de jouer un rôle sur facebook,
garder le silence ou même refuser par principe d'avoir un compte
facebook, c'est toujours jouer un rôle. Le rôle du gars
authentique, le rôle de l'intellectuel qui ne s'abaisse pas à ces
âneries, le rôle du gars occupé qui n'a pas de temps à perdre ou
encore le rôle subtil de celui qui ne veut jouer aucun rôle.
Pourtant, qu'on le veuille ou non, nous sommes toujours en train de
jouer un rôle. Il est donc faux d'opposer l'authenticité de la
vraie vie à l'inauthenticité de facebook. Facebook ne fait
qu'accentuer ce que nous sommes dans la vie quotidienne. Certes, nous
jouons un rôle sur FB, mais on le fait aussi dans notre vie de tous
les jours. Il n'y a donc pas une différence de nature entre le
virtuel et le réel mais une différence de degré.
Mais parler de l'inauthenticité de
notre vie et de facebook, n'est-ce pas déjà aller trop loin ?
Cela présupposerait qu'il y ait un véritable nous-même derrière
tous nos masques et on supposerait, par la même occasion, un
décalage entre notre être véritable et nos masques. Or, le masque
que nous avons choisi de porter, n'est-il pas une projection de
nous-même ? Y a t-il quelqu'un de véritable et d'authentique
derrière tous nos masques ou bien sommes-nous la somme de tous nos
masques ? Y a t-il un « je » unique ou bien suis-je
un « jeu » multiple ?
TAIAMANI HUCK
TAIAMANI HUCK
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