Se libérer du jugement
« Il ne faut pas
juger les autres. » Est-ce possible ? Non. Le jugement ne
dérive pas de notre volonté, ainsi, qu'on le veuille ou non, nous
portons des jugements de valeur sur les autres et nous-mêmes. On ne
peut donc pas se libérer du jugement en se disant : « il
ne faut pas juger », faire un effort de volonté ici est
inutile. Faut-il alors se résigner ou bien est-il possible de
diminuer le poids du jugement?Cette question n'est pas anodine
puisque nous sommes souvent les bourreaux de nous-mêmes. Nos
jugements constituent les barreaux de notre prison. L'anorexique se
trouve trop grosse, le timide se sent ridicule en public, le
mélancolique a l'impression de rater sa vie et d'être ainsi un
raté. Notre idéal nous pèse et peut nous rendre malheureux.
Aujourd'hui, la pensée positive est à la mode et elle nous fait
croire qu'il suffirait de remplacer les jugements négatifs par des
jugements positifs. La volonté serait ainsi la baguette magique
transformant notre vie de crapaud en une vie de prince ou de
princesse. Cependant, les choses ne sont pas si simples. Même avec
beaucoup de volonté une anorexique peut toujours se trouver laide.
La méthode Coué ,consistant à se répéter souvent des phrases
positives, atteint vite ses limites. Ce n'est pas en se répétant
tous les jours qu'elle est mince et jolie qu'elle ne se sentira pas
grosse et repoussante. Le mélancolique qui broie du noir ne peut pas
se sortir de sa dépression en se répétant simplement« je
vais bien, tout va bien ». L'idéologie de la pensée positive
exerce une pression insidieuse puisqu'elle suggère que nous sommes
responsables de notre malheur. « Si on va mal, c'est parce
qu'on pense négativement » ; « pour aller bien, je
dois faire l'effort de penser positivement » ; « si
je ne m'en sors pas, c'est à cause de mon manque de volonté ».
Et si l'angélisme du « penser positif » était en fait
le pire des démons ? Non seulement on est mal, mais en plus on
se sent responsable de notre malheur. Au lieu de nous libérer, nous
sommes écrasés davantage. Que faire alors ? Faut-il se
complaire dans notre malheur ? Dans le livre III de L'Ethique,
Spinoza affirme qu'il ne faut
pas condamner les sentiments et les actions des hommes, mais chercher
à les comprendre. Telle est la clé : comprendre plutôt que
juger. Le jugement est inévitable, il est parfois légitime, mais il
doit être accompagné par une compréhension bienveillante. Que
signifie comprendre un jugement ou une action ? C'est être
capable de saisir ses causes. Comprendre les causes et l'origine de
nos jugements, c'est le chemin de notre libération. Il n'y a pas de
« recette miracle », de « truc infaillible »,
le travail de compréhension est un cheminement personnel où on peut
m'aider, mais où personne ne peut marcher à ma place. La voie de la
compréhension permet aussi de moins juger les autres. Lorsque je
comprends les raisons d'une action ou d'un discours, je suis moins
affecté par lui. Si on me critique, j'ai tendance à répondre sur
le même ton, nul n'est parfait, cependant si on lit entre les
lignes, si on entend la souffrance de l'autre entre les mots durs
qu'il nous adresse, alors on saisit ses critiques comme le symptôme
de sa souffrance. Dès lors, au lieu de réagir au quart de tour, on
peut compatir et pardonner ses excès d'humeur. La compréhension est
le début du pardon. C'est cette conversion difficile du regard qui
permettrait de passer de la logique du jugement à celle de la
compréhension. Se comprendre pour mieux comprendre l'autre,
apprendre à se pardonner pour aussi pardonner aux autres, telle est
la voie de la libération.
TAIAMANI HUCK
TAIAMANI HUCK
J aime beaucoup ce sujet. Merci.
RépondreSupprimerJe te remercie Jessica.
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