Gouverner, c'est prévoir.
Il n'est jamais facile d'être au
pouvoir. Non seulement il faut concevoir des projets solides, mais il
faut aussi être capable de les réaliser. En imagination, les idées
s'enchaînent rapidement puisqu'il n'y a pas la résistance du réel.
Mais la politique n'est pas une simple question de théorie, il
s'agit de se confronter à la réalité en surmontant
l'incompréhension du peuple et les pièges de ses adversaires. La
compétence est ainsi une condition nécessaire sans être une
condition suffisante. Le bon souverain doit aussi être fort et rusé,
telle est la leçon de Machiavel dans le chapitre 18 du Prince :
« On
peut combattre de deux manières : ou avec les lois, ou avec la
force. La première est propre à l’homme, la seconde est celle des
bêtes ; mais comme souvent celle-là ne suffit point, on est
obligé de recourir à l’autre : il faut donc qu’un prince
sache agir à propos, et en bête et en homme. C’est ce que les
anciens écrivains ont enseigné allégoriquement, en racontant
qu’Achille et plusieurs autres héros de l’antiquité avaient été
confiés au centaure Chiron, pour qu’il les nourrît et les élevât.
Par là, en effet, et par cet instituteur moitié
homme et moitié bête, ils ont voulu signifier qu’un prince doit
avoir en quelque sorte ces deux natures, et que l’une a besoin
d’être soutenue par l’autre. Le prince, devant donc agir en
bête, tâchera d’être tout à la fois renard et lion : car,
s’il n’est que lion, il n’apercevra point les pièges ;
s’il n’est que renard, il ne se défendra point contre les
loups ; et il a également besoin d’être renard pour
connaître les pièges, et lion pour épouvanter les loups. Ceux qui
s’en tiennent tout simplement à être lions sont
très-malhabiles. »
Pour neutraliser son adversaire, il ne faut donc
pas compter seulement sur la justice (ex : une inéligibilité)
car la politique n'est pas qu'une affaire humaine, elle est aussi une
affaire de bestialité. Machiavel distingue le Lion et le Renard. Le
Lion représente la force ; à l'échelle d'un pays cela désigne
l'armée, à l'échelle plus réduite des conflits politiques il
s'agit des militants qui nous soutiennent ou des manifestants qu'on
est capable de réunir pour défendre une cause (les retraites ou le
nucléaire par exemple). Face à des milliers de personnes ou même
face à une centaine d'individus, on peut vite être impuissant.
Gouverner, c'est prévoir. Cela signifie qu'il ne faut jamais être
impuissant face à l'adversaire. Face à une manifestation, il faut
une contre manifestation ; face à des grévistes organisés, il
faut des anti-grévistes organisés ; face à des militants
fanatiques, il faut aussi, qu'on le déplore ou non, des militants
fanatiques, sinon on est à la merci de la force de son adversaire.
Etre un Lion, pour Machiavel, signifie avoir une puissance de frappe
dissuasive pour son adversaire. Mais il faut aussi être un Renard
pour repérer les pièges qu'on nous tend et en poser pour capturer
et blesser les autres. Gouverner, c'est donc prévoir les pièges,
trouver des parades et piéger son adversaire. On peut observer que
dans tous les pays démocratiques, il y a toujours des scandales
financiers ou de mœurs (ex : DSK) qui éclatent juste avant les
élections. Il faut donc discréditer par la ruse les rivaux et leurs
alliés. La maxime est célèbre : « il faut diviser pour
régner ». Lorsque nos adversaires sont désunis, ils sont
inoffensifs ; quand ils sont soudés dans leur opposition à
nous, on risque de perdre. La conclusion de Machiavel est donc la
suivante : il faut combattre son adversaire avec les lois
(l'Homme), la force (le Lion) et la ruse (le Renard). Il ne faut pas
choisir l'une de ces méthodes, il faut les utiliser toutes les trois
pour être le vainqueur. Posséder des militants dévoués, faire des
alliances publiques ou secrètes avec des partis politiques, des
syndicats ou des associations pour avoir assez de force (la majorité
silencieuse ne suffit pas), diviser les forces de ses adversaires par
la ruse et enfin utiliser les lois pour se protéger et attaquer.
Certes, ces procédés ne sont pas beaux ou nobles, mais qui a dit
que la politique est toujours belle ou noble ? L'échiquier
politique est noir et blanc, il faut savoir utiliser la force de
l'ombre et de la lumière pour trouver un juste milieu entre l'homme
et la bête.
TAIAMANI HUCK
TAIAMANI HUCK
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